La pollution lumineuse

L’environnement nocturne est extrêmement riche en diversité et en activités. Ce sont près de  65 % d’espèces d’invertébrés et 28 % de vertébrés qui vivent partiellement ou exclusivement la nuit. Les espèces nocturnes sont nécessaires au bon fonctionnement des écosystèmes. Elles rendent de nombreux services, indispensables aux humains, tels que la pollinisation, la respiration des végétaux ou la régulation des populations par les prédateurs nocturnes (rapaces, chauves-souris, mammifères, etc). Cependant, l’intensification des éclairages nocturnes, particulièrement en ville, cause de forts impacts sur l’environnement nocturne, qui peut affecter bien des espèces dont les humains : L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) alerte notamment sur les effets néfastes de l’éclairage artificiel nocturne dans une note scientifique sur la pollution lumineuse publiée le 26 janvier 2023. Nous verrons dans cet article ce qu’est la pollution lumineuse, quels sont ses impacts sur la société et la biodiversité et les pistes de lutte pour la diminuer !

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Les caractéristiques de la pollution lumineuse

L’éclairage urbain trouve son origine dans la volonté de pouvoir sécuriser et surveiller les villes durant la nuit, mais permet aussi de faciliter les déplacements tout en renforçant l’attractivité des villes. La pollution lumineuse a notamment  progressé de 94% en 25 ans en France (selon l’ADEME) et ce sont désormais 11 millions de points lumineux qui couvrent le territoire uniquement pour l’éclairage public. A l’heure actuelle, l’éclairage public représente environ 70 % de l’éclairage, contre 30 % pour l’éclairage privé, même si cette proportion varie selon les zones géographiques.

La croissance continue de la population mondiale, associée à une urbanisation toujours plus forte, au développement des infrastructures humaines, à la baisse des coûts d’éclairage et à l’apparition de nouvelles technologies, a entraîné une explosion des émissions lumineuses anthropiques, en particulier dans les grandes villes et les pays industrialisés. Une étude récente basée sur les sciences participatives a pu montrer qu’entre 2011 et 2022, la brillance du ciel du fait de la lumière artificielle a augmenté à un rythme de 10% par an au niveau mondial, soit un doublement en moins de huit ans. Le remplacement des lampes à incandescence ou des lampes à décharge par des LED à partir des années 2000 a eu un effet rebond sur la pollution lumineuse à travers le développement d’éclairages dans de nouvelles zones et la multiplication des éclairages publics et privé, ce qui a causé une expansion très forte de la pollution lumineuse.

Les effets de la pollution lumineuse

Un des premiers effets observables de la pollution lumineuse est la dégradation des paysages nocturnes. En effet, dû à l’éclairement intensif notamment en ville, la vision du ciel de nuit et des étoiles est fortement diminué : on estime que 35,9 % de la population mondiale n’est plus en mesure d’observer la Voie Lactée la nuit, et ce e taux s’élève à 60 % pour les Européens et 80 % pour les NordAméricain, entraînant ainsi une forme de déconnexion à son environnement la nuit.

La pollution lumineuse entraîne également un coût énergétique et financier assez important : souvent vétuste et énergivore, l’éclairage public représente en moyenne 40% de la facture d’électricité des collectivités (AFE), et 13% de la production mondiale d’électricité (Ademe). La pollution lumineuse entraîne ainsi un gaspillage d’énergie non négligeable et contribue à l’émission de gaz à effet de serre. La rénovation en cours des systèmes d’éclairage par de des LED permettra de réduire cette forte consommation d’énergie, mais si l’on considère l’augmentation de la quantité lumineuse émise ainsi que l’augmentation du nombre de points lumineux, le bilan est à relativiser.

Enfin, la pollution lumineuse est un facteur important du déclin de la biodiversité.

Carte de la pollution lumineuse France métropolitaine, bilan annuel de l’Observatoire national de la biodiversité © OFB

Pollution lumineuse et biodiversité

Les cycles biologiques des espèces vivantes

Afin de parler des impacts de la pollution lumineuse sur la biodiversité, il faut comprendre la notion de cycle ou rythme biologique. Un rythme biologique correspond  à la variation périodique ou cyclique d’une fonction particulière d’un être vivant, pouvant être d’ordre physiologique, biochimique et/ou comportementale.
On distingue plusieurs catégories de rythmes, en fonction de leur période.
Le plus répandu et important pour la biodiversité est le rythme circadien (jour/nuit), c’est un rythme biologique présent chez de nombreuses espèces et c’est un élément structurant de l’évolution du vivant : beaucoup d’espèces, dont l’humain, sont adaptés à vivre différemment selon le jour ou la nuit.

Les cycles de la lumière, l’intensité lumineuse et la composition du spectre lumineux sont les principaux éléments synchroniseurs des rythmes biologiques : c’est tout cela qui permet aux organismes d’anticiper et de s’adapter à leur environnement.
Ces synchroniseurs font ainsi intervenir une multitude de mécanismes physiologiques et comportementaux à l’échelle des individus, voire même des populations. La pollution lumineuse va ainsi perturber tout cet environnement pour lesquels les espèces sont adaptés et causer des nuisances importantes !

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Les impacts connus des nuisances lumineuses

En premier lieu, la lumière artificielle peut modifier l’attrait des individus pour un environnement donné et leurs capacités à s’y orienter selon la réponse attractive ou répulsive qu’elle provoque. En second lieu et même s’il s’agit davantage d’effets à moyen terme, la lumière artificielle, en modifiant l’attrait des individus pour un environnement donné et leurs capacités à s’y orienter, peut affecter leurs comportements locomoteurs (diminution des activités nocturnes et des déplacements), alimentaires, reproducteurs ainsi que leur communication (comportements nuptiaux perturbés). C’est notamment le cas pour les papillons de nuit, l’éclairage nocturne fait partie des 3 causes principales de leur déclin ! Instinctivement, ce sont de nombreux insectes nocturnes qui sont attirés par les sources lumineuses. Ils peuvent mourir d’épuisement à force de tourner autour des sources lumineuses voire à se brûler les ailes sur certaines ampoules chauffantes ou tomber au fond de globes lumineux qui agissent comme de véritables pièges.

En outre, les espèces sont naturellement synchronisées avec les cycles de la lumière naturelle émise par le soleil, la lune et les étoiles dans leur habitat. La lumière artificielle introduite bouleverse donc leurs cycles biologiques et cela de façon plus ou moins irrémédiable si rien n’est entrepris pour limiter ces effets. En plus de la considération du spectre de la lumière émise, éviter de largement modifier les cycles d’alternances naturels entre jour et nuit, et particulièrement au moment où les espèces en ont le plus besoin (migrations, périodes de reproduction et d’émergences des nouveau nés), est une action essentielle pour veiller au bien être et au maintien de la biodiversité. Là, on peut notamment le voir avec des oiseaux de nos jardins : le rouge-gorge, qui l’hiver accompagne fidèlement le jardinier souffre lors de ces migrations des halos des villes qui troublent sa trajectoire. Le merle et la mésange vont chanter plus tôt que d’habitude en zone éclairée et nicher prématurément. Ces nichées précoces sont malheureusement souvent vouées à l’échec…

Enfin, à l’échelle des écosystèmes et en plus des impacts provoqués chez chaque individu, la lumière artificielle peut engendrer de grands déséquilibres écologiques. Ainsi, les espèces photosensibles, c’estàdire qui affichent de faibles tolérances à la lumière, peuvent être perturbées, voire menacées localement. La lumière artificielle peut alors agir comme un facteur de sélection, excluant certaines espèces et en favorisant d’autres. La lumière artificielle peut également modifier les compétitions interespèces et les équilibres proies/prédateurs. En effet, au sein des communautés naturelles, les moments propices aux diverses activités que pratiquent les individus sont fractionnés en fonction des espèces et de leur préférence pour un niveau de clarté spécifique. Or, si l’éclairage du milieu est modifié, alors ce fractionnement l’est aussi et des espèces qui auparavant n’étaient pas en compétition, peuvent le devenir. Si de telles modifications avaient lieu à grande échelle, elles pourraient altérer l’équilibre et le fonctionnement des écosystèmes, provoquant des effets en cascade sur des espèces qui ne sont pas affectées a priori par la lumière artificielle. Ainsi, il a même été démontré que la pollution lumineuse perturbe les réseaux de pollinisation nocturne, entraine des conséquences négatives sur le succès de reproduction des plantes, mais a également un impact négatif sur les pollinisateurs de jour.

A l’instar des autres espèces animales, l’exposition lumineuse est très importante pour le rythme de vie des humains. La perturbation des cycles circadiens entraîne chez l’être humain des troubles plus ou moins importants, notamment l’altération du sommeil, une latence à l’endormissement, des troubles de la mémoire, de l’humeur, de l’attention, mais également des risques cardio-vasculaires, ainsi qu’une augmentation des risques de cancer du sein et de la prostate, de diabète ou d’obésité. Il est donc important de lutter contre la pollution lumineuse pour la biodiversité en général, nous compris !

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Lutter contre la pollution lumineuse

Règlementation en France

En France, il existe une règlementation nationale ambitieuse afin de lutter contre la pollution nocturne, avec trois types de mesures :

  • La temporalité des éclairages extérieures sont encadrés. Ils doivent être éteints soit une heure après la fin d’activité ou la fermeture du site, soit au plus tard à 1 heure du matin, avec un rallumage pour 7h du matin ou 1h avant le début d’activité du site.
  • Des prescriptions techniques sont fixés afin de ne pas éclairer le ciel, de limiter l’éblouissement latéral, de réduire les températures de couleur et de réguler la densité surfacique du flux lumineux installé.
  • D’autres règles diverses existent comme l’interdiction d’éclairer directement l’eau.

Ces règlementations sont cependant assez mal appliqués et ne présente pas une grande efficacité : bien que des sanctions existent en cas de non respect de ces règlementions, des contrôles ne sont dans les faits pratiquement jamais réalisés ce qui fait que ces règlementations sont rarement respectées.  Il existe de plus beaucoup de domaines et de sites pour lesquelles les règlementations ne s’appliquent pas ce qui limite l’impact de cette législation.

Actions locales et recommandations

Au niveau local, il existe des moyens de lutte qui se développent de plus en plus. contre la pollution lumineuse. L’outil « trame noire », à l’image des trames vertes et bleues qui permettent aux animaux de se déplacer sans obstacle en milieu terrestre ou aquatique, est en plein développement et vise à recréer une « continuité nocturne », pour préserver la faune et la flore qui ont besoin de la nuit !

Les recommandations de l’OPECST pour améliorer la lutte contre la pollution lumineuse dans le futur sont :

  • Faire respecter la réglementation déjà existante sur la temporalité et les règles techniques à laquelle doivent se soumettre les éclairages publics et privés.
  • Changer de paradigme en passant d’un éclairage systématique à une adaptation fine selon le contexte : concevoir l’éclairage à partir des besoins réels des usagers, adapter l’éclairage aux usages puis poser la question du matériel nécessaire.
  • Compléter la législation pour lutter contre les risques de phototoxicité de certaines sources lumineuses et renforcer les politiques de sensibilisation aux dangers de dérégulation du cycle circadien liés à l’exposition à la lumière artificielle en soirée et la nuit.

Bien que la lutte contre la pollution lumineuse est un phénomène complexe à traiter à petite échelle, il existe quelques moyens de pouvoir agir à l’échelle du jardin, vous pouvez retrouvez nos conseils sur cet article !

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